Il pourrait bien neiger en enfer

« Il pourrait bien neiger en enfer que je ne remettrais pas les pieds dans cette maison »

La porte en claquant derrière moi avait fait vibrer les murs. J’étais partie sans un regard en arrière, sans un regret. Aujourd’hui, 15 ans après, je revenais et ironiquement il neigeait. A chaque pas, le manteau blanc crissait sous mes pieds et le vent déposait des flocons dans mes cheveux. A chaque pas, je me remémorai pourquoi j’étais partie. A chaque pas, je priais pour ce ne soit pas les derniers mots que j’ai prononcé à mon père.Encore un coin de rue et la maison serait en vue. Je redoutais de revoir cette petite demeure que mon père chérissait tant. Je redoutais les souvenirs de nos rires ainsi que ceux de nos disputes. Je redoutais d’arriver trop tard et d’arriver trop tôt. Pourrais-je me pardonner de ne pas avoir fait la paix avec lui ? Saurais-je comment exprimer tous ces sentiments contradictoires ? Mes pas me portaient vers cette part de mon histoire que j’avais voulu occulter pendant si longtemps, et pourtant je suivais le chemin sans y penser. Et ce père que j’avais mis au placard serait-il toujours le même ? Sûrement pas, comme je n’étais plus la même.

Une petite maison lovée au pied des montagnes. Le potager à l’avant, le jardin et les poules à l’arrière. Au fond du terrain, ce petit ruisseau que je ne voyais pas mais savais qu’il existait. Une des maisons de mon enfance se tenait la devant moi dans sa petite majesté blanche. On pouvait deviner l’éclat orangé du feu à travers la fenêtre. Certaines choses ne changeaient pas. Cette demeure n’avait pas l’air de pas grand-chose d’extérieur,  et pourtant à l’intérieur il y avait toujours eu la chaleur du foyer, des repas partagés, de l’amour. Presque toujours me corrigeais-je aussitôt avec une grimace.

Je m’approchais du portail et pris une profondeur inspiration avant de tourner la poignée. Les quelques pas jusqu’à l’entrée de la maison me semblèrent durer une éternité et une milliseconde. Nerveuse, je vérifiai mon rouge à lèvres, repositionnai mes cheveux et serrai mon sac à main contre moi. C’était devenu une sorte d’armure face aux aléas de la vie. Si tout cela était bien en place, le reste suivrait. J’essayais ensuite d’accrocher un sourire à mon visage. Néanmoins mon cerveau savait que je n’avais aucune raison de sourire et me refusa la sincérité de ce geste. Tant pis. Avant que le courage ne me fasse défaut j’appuyais sur la sonnette.

Iris apparut alors sur le pas de la porte. Iris, comme je me rappelle d’elle et en même temps complètement différente. Elle a toujours ces grands yeux marron qui reflètent toute la bonté du monde, mais en-dessous les poches noires de la fatigue ont élu domicile. Ces longues cheveux autrefois auburn et éclatant étaient désormais parsemés de gris et bien plus ternes. Mon regard continua sur ses vêtements. C’était un changement radical. Au-revoir les petites robes à fleurs et bonjour vieux jean et pull trop grand. Néanmoins, ce qui me frappa le plus était sa maigreur et son abattement. Elle me souriait mais cela n’atteignait pas ses yeux et elle avait perdu cette capacité d’illuminer la pièce.

Je n’eu pas le temps de parler, avant qu’elle me prenne dans ses bras. Elle me serra de toutes ses forces contre elle, comme si elle ne pouvait pas croire que je me tenais sur le seuil de cette maison. Le choc passé, je l’entourais de mes bras à mon tour. Elle m’avait manqué plus que je ne le pensais. Je me rendais soudain compte que cette femme faisait autant partie de ma famille que tous les autres. Peut-être même plus que certains. Elle m’avait en tout cas soutenu plus que beaucoup de ceux qui partageaient mon ADN. Et en rayant mon père de ma vie, je l’avais elle aussi rayé parce que je ne voulais plus à voir de près ou de loin avec lui.

Elle stoppa mon tourbillon de pensées en murmurant : « Je suis heureuse que tu sois là. Il sera heureux de te voir. ». Puis elle se dégagea doucement de notre étreinte. La réalité reprenait ses droits. Je n’étais pas là pour des retrouvailles réjouissantes, j’étais là pour dire au-revoir. C’est à cet instant que la situation prit enfin toute sa teneur. Je ne l’avais pas encore vu. Je ne lui avais pas encore dit « Bonjour ». Je n’avais pas encore essayé de rattraper le temps perdu. Je n’avais encore rien commencé et pourtant j’étais ici pour le quitter. Ou plus précisément pour le voir me quitter. C’était injuste et c’était de ma faute. Ma vision se troubla légèrement, mais je ne voulais pas pleurer. Je ne pouvais pas commencer. Il y aurait beaucoup d’occasions de pleurer dans les jours à venir. Je suivis Iris à l’intérieur de la maison. Les choses n’avaient presque pas changé. La porte s’ouvre sur l’unique pièce du rez-de-chaussée. A gauche de la porte, l’escalier qui menait à l’étage. A droite, un petit espace salon constitué d’un canapé et de sa table basse, de la chaine stéréo avec tous les CDs et cet éternel tapis si doux et épais qu’on pourrait dormir dessus. En avançant un peu plus, il y a la salle à manger mais surtout la cheminée qui trône au milieu de la pièce et comme autrefois elle invite à venir se coller devant pour ne plus jamais bouger. J’observais le feu quand j’entendis Iris me demander depuis la cuisine : « Je te fais un thé ? ». Je me retournais et la vit derrière le comptoir de la cuisine ouverte une bouilloire à la main. J’hésitais un instant. Une tasse de thé me réchaufferait et me laisserait le temps de me préparer à ce qui m’attendait à l’étage, mais d’un autre côté j’avais perdu assez de temps.

« Je crois que je vais plutôt aller le voir tout de suite, si cela ne te gène pas.

  • Non pas du tout. Il est dans la chambre, je vous apporte le thé dès qu’il est prêt.
  • Merci beaucoup, Iris. »

J’abandonnais à regret la chaleur rassurante de la cheminée pour me diriger vers l’étage et vers lui. Je ne savais pas dans quel état il serait. Je savais juste qu’il était très faible. En posant mon pied sur la première marche, je me souvins du coup de téléphone qui avait déclenché ma venue. Iris avait appelé et Léna, ma femme, avait décroché :

« Cécile, c’est pour toi. Une certaine Iris. Elle dit que c’est très important»

Mon cœur avait fait un bond dans ma poitrine. « Pourquoi appelle-t-elle ? Elle sait que je ne veux pas lui parler ? » Ma femme m’avait alors forcé à prendre le téléphone, interrompant mon questionnement.

« Iris, que veux-tu ? Il ne peut même pas appeler tout seul.

  • Cécile, tu sais que je ne te dérangerais pas si ce n’était pas vital, m’avait-elle répondu d’une voix nouée par l’émotion.
  • Je t’écoute, avais-je dis troublée par le ton qu’elle empruntait.
  • Ton père ne sait pas que je te contacte mais il faut que tu saches. Avant qu’il ne soit trop tard et que chacun de vous n’ai que des regrets. »

Elle s’était tu quelques instants. Maintenant je savais qu’elle cherchait ses mots, mais à ce moment-là je n’avais pas compris et je voulais des réponses.

« Iris, dis-moi ce qu’il se passe, qu’est-ce que je dois savoir ?, avais-je demandé ma voix se faisant plus pressante et inquiète.

  • Ton père ne va bien. Il a un cancer. Il ne lui reste plus beaucoup de temps. »

Je m’étais alors assise lourdement sur la chaise la plus proche, sous le regard interrogateur de Léna. Voyant que je ne réagissais plus, elle avait repris le téléphone et avait discuté des détails avec Iris sachant que je voudrais tout savoir une fois le choc passé. Je ne me souvenais plus vraiment de la suite, mais ma femme avait fini par percer le mutisme dans lequel je m’étais enfermée et à m’expliquer la situation. Je n’avais pas hésité longtemps avant de me décider à faire un pas. Soudainement, toutes les raisons qui m’avaient poussé à le détester toutes ces années me semblaient futiles. Je connaissais leur teneur et je savais qu’elles étaient réelles, mais je me demandais si je ne leur avais pas donné trop de poids. J’avais perdu de précieux moments que je ne pourrais jamais rattraper. En atteignant la dernière marche, je me forçais à laisser ces pensées de côté pour me concentrer sur mon père.

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